vendredi 27 janvier 2012

CONTRAT - OBLIGATION DE SECURITE

La Semaine Juridique Edition Générale n° 52, 26 Décembre 2011, 1443
Extension de l'obligation de sécurité pesant sur les clubs sportifs

Veille par Jean-Jacques Barbieri
professeur, université Toulouse 1 - Capitole
Responsabilité contractuelle



Cass. 1re civ., 15 déc. 2011, n° 10-23.528 et 10-24.545, F P+B+I 
Un club sportif est-il tenu d'une obligation de sécurité envers des participants qui pratiquent librement leur activité dans les locaux mis à leur disposition, et ce sans avoir sollicité de formation préalable ou concomitante ? La première chambre civile répond par l'affirmative en reprochant à une cour d'appel, au visa de l'article 1147 du Code civil, d'avoir retenu qu'une association sportive n'avait commis aucun manquement à une obligation quelconque de surveillance et d'information susceptible d'engager sa responsabilité, alors qu'elle est tenue d'une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence envers les sportifs exerçant une activité dans ses locaux et sur des installations mises à leur disposition, quand bien même ceux-ci pratiquent librement cette activité.
Deux étudiants licenciés auprès de la Fédération française de sport universitaire et membres d'un groupement sportif universitaire se sont rendus, avec leurs camarades, dans les locaux d'une association pour une séance d'escalade en salle. Le président, également qualifié moniteur d'escalade, les a autorisés à entreprendre une séance sans encadrement particulier. Au cours de l'exercice, alors qu'il descendait une voie sur un mur artificiel et qu'il était assuré au sol par son co-équipier, l'un des participants a été victime d'une chute dont les conséquences ont été dramatiques. Saisi de l'action que ce dernier a engagée en réparation de son préjudice corporel et qu'il a fondée sur une mauvaise exécution du contrat en raison du défaut d'encadrement et de surveillance, le tribunal de grande instance de Paris a déclaré l'association sportive entièrement responsable du dommage subi. En appel, la cour de Paris, par arrêt du 21 juin 2010, a infirmé ce jugement au motif que la victime, licenciée d'une fédération sportive et déjà inscrite par le passé dans un club d'escalade, n'avait pas souhaité de formation et avait entrepris sa séance de façon libre, en sorte que le club n'avait commis aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité. C'est cet arrêt qui est cassé.
Il est constant que les clubs sportifs sont tenus envers leurs membres et adhérents d'une obligation contractuelle de sécurité, de prudence et de diligence. Ils doivent réparation du dommage qui, sans leur faute, ne se serait pas réalisé (Cass. 1re civ., 22 mai 2008, n° 07-10.903 : JurisData n° 2008-044025). Cette obligation de prudence et de diligence n'est en rien atténuée ou exclue par la mise en oeuvre des prescriptions de sécurité, éventuellement fixées par les instances sportives (Cass. 1re civ., 16 mai 2006, n° 03-12.537 : JurisData n° 2006-033511).
Néanmoins, la plupart des arrêts rendus jusqu'alors sur le fondement de l'obligation de sécurité, bien qu'ils n'eussent pas tous consacré des solutions favorables à la victime, concernaient des activités organisées, soit dans le cadre de stages d'initiation ou de qualification (V.à propos d'un tour de circuit sur un kart Cass. 1re civ., 1er déc. 1999, n° 97-20.207 : JurisData n° 1999-004184. – À propos d'une initiation au vol en ULM  Cass. 1re civ., 29 nov. 1994, n° 92-11.332 : Bull. civ. 1994, I, n° 351), soit en vue du déroulement de compétitions (V. à propos d'un rallye  Cass. 1re civ., 25 janv. 2005, n° 02-15.861 : JurisData n° 2005-026633 ; Resp. civ. et assur. 2005, comm. 80, S. Hocquet-Berg), soit encore dans la perspective de rencontres ludiques encadrées par un professionnel (V. à propos d'une randonnée à ski sous la direction d'un guide  Cass. 1re civ., 13 déc. 2005, n° 03-17.897 : JurisData n° 2005-031268). S'agissant de la seule mise à disposition d'installations, une distinction a été consacrée dans l'intensité de l'obligation, selon que la victime de l'accident a conservé un rôle actif dans le déroulement des gestes (V. à propos d'un parcours d'aventure dans les arbres [obligation de moyens] Cass. 1re civ., 22 janv. 2009, n° 07-21.843 : JurisData n° 2009-046662) ou s'est trouvée dans l'impossibilité de maîtriser la trajectoire (V. à propos d'une descente en toboggan aquatique [obligation de résultat ] Cass. 1re civ., 3 févr. 2011, n° 09-72.325 : JurisData n° 2011-001163). Les précautions à prendre par l'organisateur concernent aussi la surveillance de l'état des matériels et la conformité de leur utilisation au regard de leur destination (V. JCl. Responsabilité civile et Assurances, Fasc. 450-30, par C. Albigès, S. Darmaisin et O. Sautel, n° 66).
Ici, la première chambre civile ne paraît pas s'être bornée à rappeler que les juges du fond doivent vérifier que l'établissement d'accueil a pris toutes les mesures pour assurer la sécurité du déroulement des activités physiques. Il semble que la qualité des installations ne fût pas en cause et que la victime fût expérimentée dans la discipline, justifiant par surcroît d'une affiliation auprès de la fédération concernée. Le fait d'avoir réservé une large diffusion à cet arrêt n'est pas anodin en ce qu'il reconnaît la permanence de l'obligation de sécurité prolongée par le devoir de prudence et de diligence, en toutes circonstances, que ce soit dans le cadre d'une formation ou dans celui d'une pratique autonome ici qualifiée de « libre ». Au-delà de l'exécution des obligations précisées par le Code du sport, notamment en matière d'assurance (C. sport, art. L. 321-1 et L. 321-4), il est souhaitable d'en tirer les enseignements dans la pratique contractuelle des groupements soit en imposant un encadrement systématique, comportant une vérification préalable de l'aptitude du participant, serait-il licencié (ce qui revient vraisemblablement à mettre un terme à l'utilisation entièrement « libre » des équipements, au moins dans les activités les plus dangereuses), soit en invitant les utilisateurs à confirmer expressément la connaissance qu'ils ont prise d'un règlement intérieur aussi exhaustif que possible dans chaque spécialité, et en subordonnant la recevabilité de leur inscription ainsi que l'accès aux locaux à la satisfaction de cette exigence.

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